Pourquoi il est bien de ne pouvoir aller skier à Noël !
Le premier ministre a tranché ce jeudi 10 décembre : les stations de ski ne pourront ouvrir leurs pistes durant les congés scolaires de fin d’année 2020 !
C’est peu dire que cette décision a été contestée (comme beaucoup d’autres…) ! Elle s’applique sur tout le territoire de la République, donc dans les Alpes-Maritimes.
Et pourtant.
Nous vivons une année particulièrement tourmentée, et je ne parle pas que de la pandémie. Notre monde vacille, les certitudes d’hier (croissance, mondialisation, numérique, loisirs, etc.) deviennent questionnements aujourd’hui. L’enchaînement pandémie – crise économique, est mortifère, pour nos économies, pour notre modèle de société, et aussi, hélas, pour les individus.
Mais dans les Alpes-Maritimes, c’est la double peine. Parce que, après voir subi comme toutes les régions du monde le choc sanitaire et économique, notre département a subi un choc climatique. La tempête Alex, survenue le 2 octobre, a dévasté des pans entiers de notre paysage, des villages et des vallées, des maisons, une économie, un mode de vie !
Quel est ce mode de vie maralpin ?
L’économie de notre département est essentiellement basée sur le tourisme (10 milliards d’euros générés par 75 000 emplois directs ). Ce tourisme est globalisé, dans la mesure où il s’adresse à de vastes tranches de populations au monde, mais aussi à (presque) tous les types de marchés. Ainsi, tout au long de l’année, nous voyons défiler des européen-ne-s, des américain-e-s, des chinoi-e-s, japonnais-e-s, des saoudien-ne-s, asiatiques, sud-américain-e-s, etc.
Mais nous voyons aussi des responsables d’entreprises, des chercheurs-euses, enfin tout ce que le tourisme d’affaire peut drainer. Mais aussi des sportif-ve-s (marathons, triathlètes,…), des artistes ou producteurs-rices, et des… responsables touristiques !
Car c’est bien un tourisme multiforme que nous devons subir ! Il dure toute l’année, toutes les années, il se développe régulièrement, s’adapte, se concurrence ( à l’interne comme à l’externe) – Cannes contre St Tropez, mais aussi contre Barcelone pour les congrès, la montagne vs la mer, l’hôtellerie contre l’hébergement chez l’habitant.e (AirBnB)…
C’est évidement le secteur privé le plus pourvoyeur d’emplois du département. Mais de quels emplois ? C’est un secteur où l’emploi précaire est très répandu. Les saisonnier-e-s y sont nombreux et nombreuses. Leurs conditions d’hébergement sont souvent très précaires, surtout en montagne.
Mais que dire des conséquences environnementales ? Accueillir autant de monde, 11 millions de personnes en 2019, (http://www.cotedazur-touriscope.com/pdf/chiffres/2019/Chiffres-cles-2019-F.pdf) , toute l’année, nécessite d’importantes infrastructures : aéroports, autoroutes, ports. Mais aussi hôtels, parkings, restaurants, parcs de loisirs, etc. L’aménagement de nos villes est aussi une conséquence de cette mono-activité économique. Le meilleur exemple reste sans doute la ville de Nice qui installe un tram entre le port et l’aéroport de manière à transporter rapidement les flots de touristes vers le centre ville et ses équipements d’accueil. Tant pis si les quartiers périphériques et populaires ne sont pas ou mal desservis !
Il est toutefois important de noter que si le tourisme local est un tourisme de masse, ce n’est pas un tourisme populaire, au sens ou l’accueil de populations défavorisées n’est pas prévu ! Très peu d’hébergement de tourisme social, peu de camping (aucun à Nice, 15 dans la Métropole NCA), diminution importantes des accueils de mineurs dans des centres d’hébergement (les colos des CE n’existent quasiment plus dans le département, de même que les centres de vacances des CE des grandes entreprises – EDF par exemple). Tous ces grands bâtiments ont été vendus à des entreprises privées.
Donc, notre mode de vie est très impacté par le tout-tourisme. Nous y travaillons, nous le côtoyons, nous en subissons les nuisances…
Alors, quand une tempête vient bousculer tout cet équilibre, on peut comprendre l’émoi suscité.
Quand une pandémie bloque les touristes dans leur pays, on comprend le désarroi des hôtelier-e-s et restaurateurs et restauratrices.
Et pourtant…
Une chance pour notre région ?
Ou plutôt une opportunité.
Naomi Klein nous a montré, il y a déjà quelques années, comment une catastrophe subie, notamment climatique, ou provoquée, notamment économique, était souvent utilisée pour renforcer les pouvoirs des entreprises privées, voir augmenter les privatisations au détriment des services publics et des utilisateurs et utilisatrices. C’est la stratégie du choc !!!
C’est ce que nous risquons de voir dans notre département, touché à la fois par la pandémie et la crise économique, et par la tempête.
J’ai été frappé de voir comment la reconstruction s’organisait après la tempête. Très vite, des politiques nous ont affirmé que tout serait fait pour que la circulation routière vers les stations de ski soit rétablie pour Noël ! Alors que des villages étaient coupés du monde, des gens n’avait pas d’électricité, des repas étaient distribués, certain-e-s pensaient déjà à l’accès aux stations de ski à Noël !
Pour ces responsables politiques et économiques, il ne faisait aucun doute qu’il fallait reconstruire comme avant, en mieux (ou en pire selon le point de vue). De l’argent public était injecté (sans doute celui qui faisait défaut pour équiper les hôpitaux !), mais il n’y avait pas de temps à perdre, et surtout pas de temps pour réfléchir à un autre aménagement…
Alors que la situation est une formidable opportunité pour réfléchir et rebâtir un autre monde !
A nous d’inverser la stratégie du choc. Faisons de ce chaos le début de la construction du monde nouveau, le jour d’après…
Que faire ?
Il est tout d’abord nécessaire de dire que nous ne voulons pas reconstruire le monde d’avant. J’écoute et je lis beaucoup la presse, notamment locale. J’ai vu défiler sur les plateaux de nombreuses personnes venant se plaindre que leur remarquable entreprise, qui est toute leur vie, doit pouvoir redémarrer et être aidée pour ça. J’ai vu un grand nombre de responsables d’entreprises venir dire que ses emplois étaient menacés, même ceux qui n’offrent que des emplois précaires…
Mais je n’ai toujours pas vu ou lu des personnes qui disent : le monde s’écroule ? Et bien tant mieux, nous allons pouvoir en construire un meilleur !
Il nous faut donc dire et écrire, inlassablement, que nous ne voulons plus d’une mono-activité économique basée sur le tourisme dans les Alpes-Maritimes et dans la région PACA.
Nous devons aussi travailler à des alternatives sérieuses et crédibles. Elles existent déjà, les Assises de la Transition en 2018 l’ont montré, et depuis les choses ont encore grandi…
Et nous devons aussi nous organiser pour construire ces alternatives, toutes et tous ensemble.
Vers quel projet ?
Il est évident que ce projet de reconstruction, le jour d’après dans le 06, doit être élaboré sur des bases écologistes, démocratiques et solidaires.
Mais il doit aussi être pensé autour de la relocalisation des productions.
C’est une des grandes leçons de la crise sanitaire et économique : nous avons découvert (le Président de la République et le gouvernement aussi semble-t-il) que nous dépendions excessivement des autres pays, extra-UE, pour un nombre très importants de produits, y compris de première nécessité.
La relocalisation est donc indispensable. Pour des questions écologiques évidentes. Mais aussi pour des questions d’autonomie (relatives sans doute).
Nous avons découvert au cours de cette pandémie, que personne dans notre pays, n’était capable de produire des masques, des médicaments, ou des vaccins ! En France, une des soit-disant premières économies au monde, pays qui va pouvoir s’offrir un deuxième porte-avion nucléaire !
Mais en ce qui nous concerne, dans le 06, il nous faut prioriser cette relocalisation, parce que tout ne pourra pas être fait.
Il me semble que nos efforts devraient porter sur : l’agriculture et l’alimentation, la santé, le numérique, l’énergie et l’eau.
L’alimentation et l’agriculture :
Terres agricoles historiques, les Alpes-Maritimes doivent pouvoir travailler à une autonomie alimentaire. C’est une question que même Christian Estrosi semble avoir compris, lui qui vient de lancer son « Projet alimentaire territorial ».
La commune de Mouans-Sartoux a déjà, depuis de nombreuses années créé son outil de production de produits agricoles, et son circuit d’approvisionnement local en produits bios pour les cantines scolaires. C’est donc possible. Il reste à étendre cette action à des pans plus larges de la population.
Mais la relocalisation, notamment dans le domaine agricole, nécessite quand même de travailler aussi la question de la distribution. Il serait contradictoire et contre-productif de s’appuyer sur les grandes surfaces pour distribuer les produits locaux. Il faudra s’appuyer sur les AMAP, les coopératives de distribution locales, les marchés paysans ou locaux.
Enfin, relocaliser, nous amènera à privilégier les produits locaux dans notre consommation. Nous devrons alors diminuer notre consommation des produits importés, et donc modifier notre régime alimentaire, peut-être aussi moins consommer !
La santé :
Il est indispensable que nous puissions retrouver des établissements de soin de proximité sur tout le territoire. L’engorgement des urgences vient d’abord du manque de médecine de proximité (dispensaires, groupements de médecins…).
Les hôpitaux doivent être en permanence équipés, en produits pharmaceutiques comme en équipement d’accueil et de soin. Pour ce faire, la gestion des établissements de soin devra être assuré par des organes mêlant l’administration, le personnel soignant et les malades… Tout lien de médecin avec des laboratoires pharmaceutiques devra être contrôlé par l’organe de gestion.
Mais il ne servirait à rien d’avoir des lieux de soin performants s’il n’était pas possible d’avoir accès de manière certaine aux médicaments. Des laboratoires pharmaceutiques devront être mis en place dans chaque région. Des structures plus petites et locales seront aussi souhaitables. Ces laboratoires seront publics, voir sous forme coopérative.
Le numérique :
La pandémie a, d’une part révélé, si besoin, notre degré de dépendance au numérique.
Mais elle a aussi fortement accentué cette dépendance. Jamais les réunions à distances, professionnelles ou personnelles, n’ont été aussi nombreuses.
Elle a aussi augmenté très fortement le travail à distance.
Elle a, enfin, renforcé le pouvoir économique et culturel des entreprises qui règnent sur le secteur : les GAFAM. Amazon n’a jamais gagné autant d’argent. La place de Google et de Facebook s’est accru.
Or, ce sont des entreprises qui dominent non seulement ce marché, mais qui sont en passe de contrôler l’économie mondiale. Elles contrôlent et orientent nos comportements. Elles savent tout de nous, individuellement ou collectivement. Elles ont inventé le nouveau stade du capitalisme : « le capitalisme de surveillance » (voir le récent livre de Shoshana Zuboff, l’âge du capitalisme de surveillance, éditions Zulma).
Il est donc urgent de développer des alternatives locales. Là aussi, des expériences existent. Mais il est indispensable de les développer encore, et surtout de convaincre tout le monde (et d’abord nos camarades qui pensent que l’efficacité doit primer!) qu’il faut utiliser ces alternatives.
Il faudra donc créer des lieux de stockage de données décentralisés, moins gourmands en énergie et en espace, créer partout des plate-formes de service, utiliser des connexions protégées, créer des points d’accès internet hors FAI traditionnels, etc.
Ce dernier enjeu est de loin celui qui me paraît le plus important culturellement. Il est nécessaire. Il part du constat qu’il ne sera plus possible de nous passer de ce type de communication. Alors, autant essayer de la maîtriser !
L’énergie :
Dans les Alpes-Maritimes (comme dans une grande partie de PACA), il n’y a aucune autonomie énergétique. L’essentiel de notre énergie arrive par une ligne Très Haute Tension qui nous vient des centrales nucléaires de l vallée du Rhône !
C’est dire si cette alimentation est fragile. Le seuil d’alerte a déjà été atteint plusieurs fois. C’est à dire que nous avons été au bord de la coupure électrique à certaines périodes de l’hiver.
Or notre département, au sein de la région, est riche en énergie renouvelable.
Il est donc indispensable de développer la production de ces énergies. Solaire, éolien ont toute leur place sur notre territoire.
Il faut donc stimuler la création d’entreprises de production et de distribution de l’énergie.
Mais il ne faudra pas perdre de vue que la meilleure énergie est celle qu’on utilise pas. La sobriété restera un combat indispensable !
L’eau :
L’approvisionnement en eau reste un problème potentiel. En temps normal, l’eau est suffisamment présente dans le 06. Mais avec le réchauffement climatique, avec les étés torrides qui se succèdent, l’avenir reste incertain.
Une autre politique de distribution sera à développer.
Ces cinq domaines de production me semble très prioritaires. Ils ne sont toutefois pas exclusifs. Les questions posées par l’enseignement et la formation, les transports, la culture par exemple devront faire l’objet d’évolution. Mais nous sommes dans ces domaines, moins dans des questions de relocalisation que d’amélioration.
Enfin, il restera un point crucial à régler : comment permettre et faciliter la mutation les emplois actuels vers ces nouvelles productions, locales ?