Confinement

Jour 41 : Des œillets au Portugal

Samedi 25 avril. Aujourd’hui, comme au moins deux fois par semaine, j’ai suivi les conseils de ma médecine: je suis allé courir. Je suis donc sorti à 16h05, muni de mon autorisation dérogatoire de sortie, dûment remplie à partir du modèle fourni par le quotidien local. J’ai emprunté le parcours déjà accompli lors de ma dernière sortie (voir article de mercredi dernier). En arrivant au jardin Albert 1er, j’ai vu qu’il y avait un barrage de policier-e-s. Je me dirige gentiment vers une brave agente et je lui tend mon « ausweis« . Elle le regarde à peine, et me dit que je ne devrais pas être là et que je commets une double infraction: il est interdit de faire du footing dans l’espace public à Nice après 12h, et la Promenade est interdite. Elle m’a conseillé de faire demi-tour…
J’ai obtempéré.
Depuis je suis à la recherche de ces arrêtés. Vu que de nombreuses personnes étaient contrôlées avec moi, et que personne n’a été verbalisé, j’en conclus que les dits arrêtés ne sont peut-être pas béton au niveau du droit. A suivre !
Je n’ai couru que 36mn.

Pour le reste ma tension est toujours dans le jaune foncé. J’ai fait le ménage dans l’appartement, et j’ai discuté un bon moment avec une voisine du 4ème, qui elle aussi court (mais le matin, parce qu’elle savait qu’il est interdit de courir l’après-midi).
Nous avons passé la soirée en regardant la série « Dérapages » avec Eric Cantona. Enfin, surtout ma compagne, parce que moi j’ai craqué au début du deuxième épisode. Mais je soupçonne ma compagne de regarder la série surtout pour l’acteur dont elle est fan ! Moi, j’ai fini cette journée avec Mongeville.

Donc, le Portugal ! Le 25 avril est l’anniversaire de la révolution des œillets au Portugal. 25 avril 1974. Je me souviens très précisément de cette épisode historique fondamental. Cette révolution a permis au peuple portugais de se libérer d’une dictature entamée en 1926, avec Antonio Salazar au pouvoir depuis 1932. 48 ans de régime dictatorial !
Mais, pour comprendre la portée de cet évènement il est nécessaire de le resituer dans son contexte. Nous ne sommes que quelques années après 1968 qui a vu d’importants mouvements sociaux et sociétaux dans de nombreux pays du monde. Pas au Portugal, puisque la dictature veille. De son côté, le voisin espagnol est toujours dirigé par la Caudillo Francisco Franco. En Afrique, la décolonisation a avancé depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et les colonies portugaises s’impatientent. En Amérique du sud, le coup d’état de Général Pinochet (aux ordre de la CIA et des grandes entreprises étasuniennes dont ITT) le 11 septembre 1973, rappelle que l’armée est toujours du côté du capital.
Presque toujours. L’originalité de la révolution portugaise, c’est qu’elle commence par un coup d’état commis par des militaires. Mais ces militaires ne sont pas des généraux, ni des officiers supérieurs. Ce sont des capitaines, des lieutenants, suivis par l’immense majorité de la troupe. Ils réussiront à créer un pouvoir populaire original, jusqu’à ce que le Parti Socialiste Portugais arrive finalement aux commandes du pays… Mais c’est une autre histoire!

En France, cette révolution a un écho énorme. Sans doute parce que notre pays est la première destination d’émigration pour les travailleur-euse-s portugais-e-s. Mais aussi, parce dans l’effervescence à gauche durant cette période, une révolution populaire qui réussit à notre frontière, c’est très enthousiasmant !
Nous avons alors assisté à un exode important des jeunes francais-es pendant les étés 1974 et 1975. La mode chez les gauchistes, c’était de passer ses vacances au Portugal.
J’en fus.
Je suis parti à l’été 1975, avec deux copines. Voyage en stop, évidement, puis en train pour traverser l’Espagne, jusqu’à Porto. C’était à la fois du tourisme et de la formation politique. Nous avons visité Coïmbra, Porto, Lisbonne, Faro, Sesimbra… Peut-être d’autre villes, je ne me souviens pas de tout. Sésimbra était réputée dans les milieux étudiants de gauche pour ses boutiques où il était possible d’acheter des chemises de pêcheurs. Quand on entrait dans la boutique et que nous demandions une chemise de pêcheur, le vendeur nous demandait immanquablement: « Vous êtes français ? ».
Je me souviens de cette ambiance de fête permanente. Dans les rues, il y avait des attroupements partout. Les gens parlaient politique, encore et toujours. Toute la journée, la nuit…
Et puis il y avait les manifestations. Tous les soirs. rendez-vous à 18h. Cela durait des heures et des heures, souvent après minuit. Et après il fallait rentrer jusqu’à notre auberge…
Quel été !

Il m’est arrivé assez souvent de rencontrer des camarades dans les milieux militants que je fréquente encore aujourd’hui, qui eux aussi étaient à Lisbonne en 1974 ou 1975. Cela ressort, au détour d’une conversation où nous évoquons le passé. Mais cela me confirme surtout, que nous n’étions pas les seuls françai-se-s à visiter le Portugal en ces années pleines de rêves et d’espoir…

Le voyage retour fut épique. Je le raconterai peut-être à une autre occasion. Ce séjour portugais a fortement contribué à ma formation, de militant politique et syndical d’abord, mais aussi d’adulte.
J’avais 22 ans. J’avais un monde à changer !

Retour à l’accueil