Confinement

Jour 40: Premier jour de Ramadan

Vendredi 24 avril. Peu de sortie aujourd’hui. Je me suis juste accordé une petite marche sur la Promenade des Anglais, vers 17h30. Visiblement, il y a de plus en plus de monde qui testent le déconfinement. J’ai vu, pour la première fois depuis le 17 mars, des cyclistes sur la piste cyclable de la Prom ! Le slalom est de plus en plus nécessaire sur les trottoirs, mais nous en restons au niveau « slalom géant ». Le slalom spécial débutera sans doute le 11 mai !
Le déconfinement s’expérimente aussi dans les magasins. Je suis entré dans la Carrefour Gambetta, en passant par l’entrée de la rue St Philippe, et je me suis vite rendu compte que les mesures barrières n’étaient pas le soucis premier. Pas de limitation du nombre de client, pas de lignes tracées au sol pour respecter les distances à la caisse… Ou peut-être ne les ais-je pas vu ! Il faudra approfondir la question dans les jours à venir.

En ce qui me concerne, tout continue de se dérouler tranquillement. Les jours s’enchaînent, les rendez-vous et les réunions téléphoniques aussi. Cet après-midi, c’était la traditionnelle réunion du groupe de travail d’Attac France sur le fonctionnement de l’Union Européenne. Nous avons décrypté (autant que faire se peut) la réunion du Conseil Européen d’hier. Il s’agissait pour les chef-fe-s d’États de s’entendre sur la manière de gérer la crise sanitaire et (surtout) économique. Je suis chargé de rédiger le texte martyr de la synthèse que nous allons essayer de présenter au monde entier…

La journée s’est achevée devant la télé, comme d’habitude. Nous avons regardé les deux derniers épisodes de la saison 2 de « l’amie prodigieuse« . Je ne recommence pas les commentaires faits mardi à ce sujet. Ce serait les mêmes aujourd’hui. Mais au moins, ça, c’est fait… en attendant la saison 3.

C’est donc le premier jour de Ramadan. A partir d’aujourd’hui, les musulman-e-s doivent jeûner. C’est à dire qu’il n’est pas possible de consommer de la nourriture, de la boisson (ni d’avoir des pensées impures) après le lever du soleil et avant son coucher. En dehors de ce créneau il est possible de manger et boire, mais « raisonnablement ».
C’est peu dire que cette pratique rend la vie des pratiquant-e-s difficiles. A l’origine, dans les sociétés musulmanes, pendant le mois de jeûne, l’activité économique était en sommeil. Seules les activités indispensables étaient maintenues. Ce qui permettait aux corps de ne pas être trop sollicités pendant la journée. Aujourd’hui, dans nos sociétés, c’est plus difficile. Pendant le jeûne, la vie continue. Tous les ans, pendant le mois de Ramadan, les chaînes de télévision nous abreuvent de reportages nous expliquant comment font les travailleurs et travailleuses de religion musulmane pour continuer leur activité parfois très difficile physiquement malgré l’absence de nourriture et de boisson.
Alors cette année, ce sera moins difficile. Puisque beaucoup de personnes sont au chômage, ou en télétravail, les périodes de repos seront plus simple. Oui, mais en contrepartie, la pratique religieuse sera entravée par les règles de distanciation sociale. Pas question d’aller à la mosquée pour les prières du soir… On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre (bon alors là, j’avoue, j’ai vraiment hésité sur la façon d’écrire: beurre ou beur ! Finalement, j’ai fait soft).

Je garde un souvenir précis lié à Ramadan. C’était en 2014. J’étais à Mayotte pour présider un jury professionnel, avec un collègue. C’était en juillet, il faisait très chaud, et dès la descente de l’avion et la montée dans le bac qui nous transportait vers Mamoudzou (la capitale), nous avons été plongés dans un autre monde, plein de couleurs très vives. Mais aussi un monde dans lequel les hommes (tous en blanc) étaient assis d’un côté du bateau, et les femmes vêtues de robes et de voiles aux couleurs chatoyantes, de l’autre côté de ce bateau.
A la fin du jury, la responsable de la formation nous a invité chez elle pour la rupture du jeun. Nous avons évidement accepté, par politesse, mais aussi parce que nous étions très curieux d’assister à ce moment important. Nous fumes d’abord surpris d’être reçus dans une superbe et grande maison avec vue sur la baie. Les personnes qui nous avaient invités n’étaient nullement des gens riches. Mais à Mayotte, lorsque on possède un terrain, il suffit d’avoir des ami-e-s pour avoir une maison. Celles-ci sont construites par les habitants eux-mêmes avec les voisins et amis. Les permis de construire sont « accordés » par les voisins après vérification (à l’amiable) que la nouvelle construction ne sera pas une gène pour les anciennes. Au retour de la prière nous avons participé à un repas très local.
Puis, la personne qui nous avait invité, a tenu à nous ramener à Mamoudzou (environ 30km). Nous avons pris la route de la montagne, bien plus longue, mais qui avait l’immense avantage de traverser de nombreux villages. Partout, c’était la fête. Ambiance très bon enfant. Pas d’alcool (évidement), pas de danse, mais de la musique et surtout des jeux. Chaque soirée, une fois le soleil couché, était l’occasion de participer à des tournois sportifs: football, basket et beaucoup de handball.
Nous avions bien mérité le petit rhum de retour à l’hôtel !

J’ai lu sur le compte Mastodon de Macron (je ne vous donne pas le lien) qu’aujourd’hui, 24 avril, c’était la journée mondiale de commémoration du génocide des arménien-ne-s. Ce génocide, perpétrés par les turcs contre le peuple arménien en 1915-1916 est depuis longtemps un sujet de controverse entre les turcs et la communauté internationale. Les turcs ont toujours nié toute responsabilité dans cette atrocité. 105 ans plus tard, ils nient toujours. Et il ne faut pas compter sur Erdogan pour évoluer.
Pour moi ce génocide évoque un souvenir particulier. C’était en 1980. J’étais en formation DEFA, sur une UV de spécialisation en vidéo. Nous avions un exercice pratique à réaliser: créer un journal télévisé tous les soirs. Nous étions une dizaine de personnes dans cette formation, et la journée se répartissait en prises de vue (plutôt le matin), montage (l’après-midi) et présentation de l’édition du jour après le dîner. Il nous appartenait de trouver les sujets intéressants, locaux évidement. Nous étions au CREPS de Boulouris dans le Var.
Nous avions appris qu’il existait à Saint Raphaël une maison de retraite dans laquelle résidaient de nombreux-ses arménien-ne-s. Peut-être n’y avait-il que ça d’ailleurs. Nous avons décidé d’y faire un reportage pour savoir pourquoi il y avait ici, à St Raphaël, une maison de retraite « arménienne ».
Nous y avons rencontré de nombreuses personnes qui nous ont raconté avec force détail « leur » génocide, celui qu’ils ou elles avaient vécu. Évidement, tous étaient des personnes très âgées. Nous étions 65 ans après le génocide. Et toutes les personnes interrogées pleuraient à chaudes larmes devant la caméra. Nous avons d’abord été très secoués émotionnellement. Voir tous ces gens âgés en larme était touchant. Et puis on s’habitue à tout. Au bout d’une heure, nous avions réussi à nous reconcentrer sur l’objet de la visite, et à être plus « pros ». Finalement, nous avons monté un bon reportage, avec une présentation à la fois historique du génocide, mais aussi humain.
Mais il est vrai que le moment où toutes ces personnes nous racontaient par le détail comment elles ont vu leur famille, parents, frères, sœurs se faire tuer devant eux, a laissé quelques traces en nous… Et quelques cauchemars nocturnes aussi!

Ne manquez pas les 25 et 26 avril. Ce sont aussi des jours marquants…

Retour à l’accueil